Pierre Willaume est un chercheur qui aime la transversalité. Diplômé en sciences de l’éducation, il étudie la symbolique et la communication non verbale avant de partir en Californie et de découvrir les travaux de l’école de Palo Alto et l’ethnologie. Il pratique aujourd’hui l’ingénierie de formation avec pour seul credo la transdisciplinarité. Il a reçu plusieurs prix d’innovation pour son coaching linguistique et ses études interculturelles et a publié plusieurs ouvrages dont entre autres “Comment les voyages forment la jeunesse” (1), paru en 2009.
Vous avez écrit un ouvrage qui s’intitule Comment les voyages forment la jeunesse, nous sommes donc tentés de vous poser la question : en quoi les voyages sont-ils formateurs pour la jeunesse ?
C’est un thème très vaste! Ce qui est intéressant de remarquer, c’est que les jeunes suivent tous aujourd’hui une formation académique : école, lycée et pour certains université. Cette formation a des principes et des outils qui évoluent en fonction des âges mais qui ont les mêmes bases. Or ce qui est intéressant dans l’expérience de la vie en immersion dans un pays différent du nôtre, c’est qu’il nous fait rencontrer à la fois d’autres modèles et en même temps il nous pousse et nous oblige à apprendre autrement, par l’expérience. C’est en ça que les voyages sont formateurs pour la jeunesse.
Quelles sont les principales différences entre cet apprentissage par l’expérience et l’apprentissage académique ?
Dans l’expérience vécue, on revient avec un sac à dos dans lequel se mélangent de façon très intimes des découvertes, des apprentissages, des émotions et des limites qui se retrouvent revisitées recadrées ou élargies. C’est cet ensemble informel qu’il est important de débriefer et d’analyser pour bénéficier pleinement de l’expérience (qui veut dire “sortir du péril”, “sortir de l’épreuve”), car le déplacement géographique ne suffit pas, il est nécessaire d’avoir vécu cette déstabilisation pour que cet apprentissage prenne tout son sens.
On parle souvent de “choc culturel” à l’arrivée dans un pays, pouvez-vous nous dire en quoi il consiste exactement et en quoi il est le révélateur d’une expérience plus large ?
Le choc vient du fait que nos repères et nos comportements qui sont issus de notre culture d’origine ne sont que partiellement efficaces dans le pays et la culture d’accueil. En plus de cela, nous sommes dotés d’un processus mental, la « quotidianisation », qui intègre les différences du quotidien. Or ce processus se retrouve incapable de gérer la masse d’informations quand on est en immersion dans un pays différent. Ceci va créer et alimenter une déstabilisation qui peut, si elle est très intense au niveau émotionnel, déclencher un choc culturel. Ce choc est à la fois quelque chose qui vient perturber, mais c’est aussi un élément déclencheur d’un possible apprentissage. De fait, il nous conduit à nous interroger et à réaliser qu’on est soi même porteur d’une personnalité et d’un modèle culturel d’origine. De ce fait, on peut commencer à créer une facette sociale et culturelle identitaire dans le nouveau pays. Alors on s’adapte aux codes sociaux du nouveau pays, on interagit avec ses membres, et on développe notre personnalité sur un pan culturel que nous n’avions pas précédemment.
Vous dites que c’est une véritable création d’identité ?
Une création d’identité bis. Ce qui est très intéressant pour des jeunes adolescents, c’est qu’ils sont en train de passer de l’enfance à l’âge adulte. Ils créent un cadre de références personnel par des choix en sélectionnant, triant, s’appropriant tout ce qu’ils ont reçu dans l’enfance. Et la création de cette facette sociale, identitaire et culturelle dans un nouveau pays va venir dynamiser la construction de soi par des choix. C’est pour ça que les jeunes qui voyagent mûrissent plus vite, se forment plus vite, se développent et se positionnent de façon plus mûre que ceux qui n’ont pas été confrontés à cette expérience et n’ont par conséquent pas pu autant être dynamisés dans leur construction d’eux-mêmes.
Là-dessus vous allez jusqu’à dire que la formation des jeunes en immersion dans un pays étranger n’est pas qu’une somme de savoir-faire, mais bien une formation au savoir-être, tirée d’une expérience existentielle.
Oui tout à fait : cette facette identitaire, c’est le savoir-être. On réalise qu’en France, on a une manière d’être, et à l’étranger on peut repousser les limites et oser être un peu plus que notre identité française. Et puis on réalise que ce qui était quelque chose d’impossible ou difficile en France pour un français peut devenir accessible dans un autre pays. Et cette compétence acquise nous renvoie à nous découvrir nous-mêmes avec des possibilités que nous n’osions pas imaginer dans notre culture d’origine. C’est dans ce sens que le savoir être se développe.
Le retour est de ce fait enrichi, mais émerge la difficulté de retrouver sa facette identitaire d’origine. Comment concilier les deux ?
Quand on revient dans son pays, il va y avoir un réajustement à faire. Nous nous sommes développés à l’extérieur et l’on pense revenir dans le pays que l’on a quitté. Or entre temps ce pays a évolué et les relations que nous avions dans ce pays ont elles aussi évoluées. Ou encore elles peuvent reprendre là où nous les avions laissées au départ, mais nous avons complètement changé entre temps. Donc il y a plusieurs remises à niveau à faire qui peuvent alimenter un choc culturel au retour. D’où l’importance d’un accompagnement au retour, tout aussi fondamental que l’accompagnement au départ.
Une autre étape qui attend les jeunes à leur retour d’expérience consiste à valoriser cette expérience interculturelle. Comment la valoriser au mieux ?
La première chose à faire, ce sera d’analyser l’expérience vécue et d’en tirer un vocabulaire intelligible pour tous ceux qui n’ont pas vécu la même expérience que nous. Ensuite, le jeune doit reconnaître ses acquis. Il faut identifier au mieux la manière dont cette expérience nous a changés, quels aspects de leur personnalité ont évolué. Mettre des mots sur ces changements permettra de mieux mettre en avant cette expérience lors d’un futur recrutement, pour un stage, des études ou un travail. Parce que cet apport aujourd’hui n’est véritablement présent que si le jeune parcourt tout ce cheminement et cette réflexion.
De ce point de vue là, vous dites que l’intensité de l’expérience est plus importante que la durée. Comment cette intensité se mesure-t-elle ?
Cela rejoint les notions de temps. Il y a plusieurs temps, et j’en distingue deux : il y le temps chronologique et le temps relationnel – émotionnel. Et si on a eu un vécu fort sur une durée courte, c’est ce vécu fort qui transparaît dans l’expérience interculturelle. Et il peut être plus profitable par rapport à quelqu’un qui aurait vécu une longue durée mais sans changements majeurs en lui. C’est pour ça que cette formation par l’expérience est complémentaire de la formation académique, et ces deux parcours se mutualisent pour permettre l’expression d’une personnalité en mouvement.
(1) Pierre Willaume, Comment les voyages forment la jeunesse, Retf, 2009
Consultez le site de Pierre Willaume : www.retf.fr